Guide pratique pour les comptables belges sur les obligations et bonnes pratiques après une déclaration de soupçon à la CTIF
La déclaration de soupçon à la Cellule de Traitement des Informations Financières (CTIF) marque une étape importante dans le processus de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Cependant, les obligations du comptable ne s'arrêtent pas à l'envoi de cette déclaration.
Ce guide détaille les obligations légales et les bonnes pratiques à suivre après avoir effectué une déclaration de soupçon, conformément à la loi du 18 septembre 2017 relative à la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme.
Articles 47 à 59 de la loi du 18 septembre 2017 : obligations de déclaration, confidentialité et protection du déclarant
Article 35 : obligations de vigilance continue
Article 46 : traitement interne des opérations atypiques
Suite à une déclaration de soupçon, il est impératif de réévaluer le profil de risque du client concerné. Cette réévaluation doit être documentée et justifiée, puis intégrée dans le dossier du client.
La réévaluation doit être effectuée immédiatement après la déclaration de soupçon et doit prendre en compte les éléments suivants :
Niveau de risque | Description | Actions requises |
---|---|---|
Élevé | Client ayant fait l'objet d'une déclaration pour des opérations significatives ou récurrentes | Vigilance renforcée permanente et révision de la relation d'affaires |
Moyen-élevé | Client ayant fait l'objet d'une déclaration pour une opération isolée | Vigilance renforcée temporaire et réévaluation après 6 mois |
Documentez toujours votre processus de réévaluation de manière claire et objective. Évitez les termes accusatoires et préférez une description factuelle des éléments ayant conduit à la modification du profil de risque.
Identification du client : [Nom/Raison sociale]
Numéro de client : [Référence interne]
Date de la réévaluation : [JJ/MM/AAAA]
Profil de risque antérieur : [Faible/Standard/Élevé]
Profil de risque révisé : [Standard/Élevé]
Justification de la révision : [Description factuelle des éléments ayant conduit à la révision, sans mentionner la déclaration à la CTIF]
Mesures de vigilance à mettre en place : [Liste des mesures]
Date de la prochaine révision : [JJ/MM/AAAA]
Validé par : [Nom et fonction]
Après une déclaration de soupçon, le client doit faire l'objet d'une vigilance accrue, conformément à l'article 35 de la loi du 18 septembre 2017. Cette vigilance accrue doit être adaptée au niveau de risque réévalué.
Type de contrôle | Risque standard | Risque élevé (post-déclaration) |
---|---|---|
Mise à jour des informations d'identification | Tous les 2-3 ans | Au moins annuellement |
Vérification de la cohérence des opérations | Trimestrielle | Mensuelle ou à chaque opération |
Vérification approfondie des transactions | Pour les montants significatifs | Pour toutes les transactions |
Revue complète du dossier | Annuelle | Semestrielle |
Les mesures de vigilance accrue doivent être appliquées de manière discrète, sans que le client puisse déduire qu'il a fait l'objet d'une déclaration de soupçon à la CTIF.
Client : Société ABC (déclaration effectuée suite à des opérations atypiques)
Mesures immédiates :
Mesures continues :
Prochaine révision complète : Dans 6 mois
Après l'envoi d'une déclaration de soupçon, le comptable doit rester disponible pour fournir des informations complémentaires à la CTIF et répondre à ses demandes. Cette communication s'inscrit dans le cadre de l'article 48 de la loi du 18 septembre 2017.
Type de communication | Description | Délai de réponse |
---|---|---|
Accusé de réception | Confirmation par la CTIF de la réception de la déclaration | Automatique |
Demande d'informations complémentaires | Requête de la CTIF pour obtenir des précisions sur les faits déclarés | À traiter en priorité (généralement sous 5 jours ouvrables) |
Information complémentaire spontanée | Transmission d'éléments nouveaux liés à une déclaration déjà effectuée | Dès que l'information est disponible |
Opposition à l'exécution d'une opération | Instruction de la CTIF de ne pas exécuter une opération | Application immédiate |
Information de transmission au parquet | Notification que le dossier a été transmis au procureur du Roi | Information à conserver, pas de réponse requise |
La communication avec la CTIF doit s'effectuer via son système sécurisé en ligne. Pour accéder à ce système :
Référence de la déclaration initiale : [Numéro]
Date de la déclaration initiale : [JJ/MM/AAAA]
Client concerné : [Référence interne - pas de nom]
Date | Type de communication | Contenu sommaire | Suivi effectué |
---|---|---|---|
[JJ/MM/AAAA] | Accusé de réception | Confirmation de la réception de la déclaration n°XXX | Archivé |
[JJ/MM/AAAA] | Demande d'informations | Demande de précisions sur les transactions du [date] | Réponse envoyée le [date] |
L'un des défis majeurs après une déclaration de soupçon est de poursuivre la relation d'affaires avec le client sans lui révéler l'existence de cette déclaration, conformément à l'interdiction de divulgation (tipping-off) prévue à l'article 55 de la loi du 18 septembre 2017.
L'article 55 de la loi du 18 septembre 2017 interdit formellement aux déclarants d'informer le client ou des tiers qu'une déclaration de soupçon a été effectuée ou qu'une analyse pour blanchiment de capitaux ou financement du terrorisme est en cours. Cette infraction est passible de sanctions pénales.
Situation | Formulation à éviter | Formulation recommandée |
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Demande de justificatifs pour une transaction | "Cette transaction nous paraît suspecte, nous avons besoin de justificatifs" | "Dans le cadre de nos procédures de vérification standard, nous avons besoin des pièces justificatives relatives à cette opération" |
Questions sur l'origine des fonds | "Ces fonds proviennent-ils d'activités légales?" | "Conformément à nos obligations légales de vigilance, pourriez-vous nous préciser l'origine économique de ces fonds?" |
Explication d'une demande de vigilance accrue | "Suite à des opérations inhabituelles, nous devons renforcer notre surveillance" | "Dans le cadre de notre mise à jour périodique des dossiers clients, nous procédons à une actualisation de vos informations" |
Le client pourrait s'interroger sur les demandes d'informations supplémentaires ou sur un changement dans la relation d'affaires. Voici comment gérer ces situations :
Si le client demande pourquoi vous avez besoin de plus d'informations :
Si le client soupçonne une déclaration à la CTIF :
Pour éviter d'éveiller les soupçons du client, envisagez d'appliquer certaines mesures de vigilance accrue à l'ensemble de votre clientèle dans le cadre d'une mise à niveau générale de vos procédures. Cela permettra de "noyer" les demandes spécifiques adressées au client ayant fait l'objet d'une déclaration.
Bien que la déclaration de soupçon n'implique pas automatiquement la rupture de la relation d'affaires, certaines situations peuvent nécessiter la fin de la collaboration avec le client. Cette décision doit être prise avec prudence pour ne pas alerter le client sur l'existence d'une déclaration.
Situation | Description | Niveau de risque |
---|---|---|
Impossibilité d'exercer une vigilance adéquate | Le client refuse de fournir les informations ou documents nécessaires à l'exercice de la vigilance | Élevé - Rupture obligatoire (art. 33 de la loi) |
Risque réputation inacceptable | Le maintien de la relation expose le cabinet à un risque réputationnel majeur | Élevé - Rupture recommandée |
Soupçons de participation directe à une activité criminelle | Indices sérieux que le client participe directement à des activités illégales | Élevé - Rupture recommandée |
Opérations systématiquement atypiques | Le client continue à réaliser des opérations atypiques malgré les demandes d'explications | Moyen - Évaluer au cas par cas |
Communication d'informations fausses ou trompeuses | Le client fournit sciemment des informations inexactes | Moyen - Évaluer au cas par cas |
Si la CTIF vous notifie qu'elle a transmis le dossier au procureur du Roi, une évaluation approfondie de la poursuite de la relation d'affaires doit être réalisée. Dans de nombreux cas, la rupture pourrait être recommandée, mais doit toujours s'effectuer sans révéler le motif réel.
Si la décision de mettre fin à la relation est prise, voici les étapes à suivre :
[Lieu et date]
[Coordonnées du client]
Objet : Fin de notre collaboration professionnelle
Madame, Monsieur,
Par la présente, nous vous informons de notre décision de mettre fin à notre collaboration professionnelle à compter du [date d'effet, respectant le préavis contractuel].
Cette décision s'inscrit dans le cadre d'une [motif crédible, par exemple : "réorganisation interne de notre cabinet et d'une redéfinition de nos domaines de spécialisation"]. Malgré la qualité de nos échanges professionnels passés, nous ne sommes plus en mesure de vous offrir le niveau de service que vous êtes en droit d'attendre.
Conformément à nos obligations professionnelles, nous restons à votre disposition pour assurer une transition harmonieuse de votre dossier vers le professionnel de votre choix. Nous vous remercions de bien vouloir nous communiquer les coordonnées de ce dernier afin que nous puissions organiser cette transition.
Nous vous prions d'agréer, Madame, Monsieur, l'expression de nos salutations distinguées.
[Signature]
[Nom et fonction]
Pour éviter toute suspicion, il peut être judicieux de mettre fin simultanément à plusieurs relations d'affaires dans le cadre d'une "réorganisation" plus large, incluant des clients n'ayant pas fait l'objet d'une déclaration.
La conservation adéquate des documents et preuves liés à une déclaration de soupçon est une obligation légale importante, conformément aux articles 60 à 63 de la loi du 18 septembre 2017. Elle permet de justifier les décisions prises et de répondre aux demandes ultérieures des autorités.
Conformément à l'article 60 de la loi du 18 septembre 2017, les documents relatifs à une déclaration de soupçon doivent être conservés pendant 10 ans à partir de la fin de la relation d'affaires avec le client concerné ou de la date de l'opération occasionnelle.
Aspect | Bonnes pratiques |
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Format |
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Sécurité |
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Organisation |
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Confidentialité |
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Un système de classement efficace doit permettre de retrouver rapidement les documents pertinents tout en préservant leur confidentialité :
Établir un index détaillé permettant de retrouver facilement chaque document avec :
Après une déclaration de soupçon, un système de suivi interne doit être mis en place pour assurer la surveillance continue du client concerné et documenter les évolutions de la situation. Ce suivi est coordonné par l'AMLCO (Anti-Money Laundering Compliance Officer).
Niveau de risque | Reporting des collaborateurs à l'AMLCO | Révision par l'AMLCO | Reporting à la direction |
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Élevé | Immédiat pour chaque opération + rapport mensuel | Mensuelle | Trimestrielle ou immédiate si évolution significative |
Moyen-élevé | Immédiat pour opérations significatives + rapport trimestriel | Trimestrielle | Semestrielle ou selon nécessité |
CONFIDENTIEL - USAGE INTERNE UNIQUEMENT
Référence interne : [Code interne]
Date de la déclaration initiale : [JJ/MM/AAAA]
Période couverte par ce rapport : Du [JJ/MM/AAAA] au [JJ/MM/AAAA]
Préparé par : [Nom et fonction]
Date : [JJ/MM/AAAA]
Signature de l'AMLCO : ___________________
Pour les cabinets de petite taille, envisagez de créer un calendrier de suivi des clients ayant fait l'objet d'une déclaration, avec des rappels automatiques pour les révisions périodiques. Des solutions logicielles spécialisées en compliance peuvent faciliter ce suivi.
Dans certains cas, la CTIF peut demander au déclarant de ne pas exécuter une transaction pendant un délai déterminé. Cette mesure, prévue par l'article 80 de la loi du 18 septembre 2017, est exceptionnelle et nécessite une réaction immédiate et appropriée.
L'article 80 de la loi du 18 septembre 2017 permet à la CTIF de s'opposer à l'exécution d'une opération pour une durée maximale de 5 jours ouvrables à compter de la notification. Cette opposition peut être prolongée par le procureur du Roi ou le juge d'instruction.
Cette mesure vise à permettre aux autorités d'analyser l'opération et, le cas échéant, de prendre des mesures conservatoires (saisie, gel des avoirs) avant que les fonds ne soient déplacés.
Scénario | Actions à entreprendre |
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Expiration du délai d'opposition sans prolongation |
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Prolongation de l'opposition par le procureur |
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Transformation en saisie judiciaire |
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Il est recommandé d'élaborer à l'avance une procédure interne détaillée pour la gestion des oppositions, incluant une chaîne de communication d'urgence et des modèles de réponses à donner au client. Cela permettra une réaction rapide et appropriée en cas de réception d'une opposition de la CTIF.
Après avoir effectué une déclaration de soupçon, plusieurs scénarios peuvent se présenter, chacun impliquant des obligations spécifiques pour le professionnel du chiffre. L'issue de la déclaration peut avoir un impact significatif sur la relation d'affaires et les mesures à mettre en œuvre.
Issue | Description | Obligations et recommandations |
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Classement sans suite par la CTIF | La CTIF ne transmet pas le dossier au parquet après analyse (aucune notification n'est généralement envoyée au déclarant) |
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Transmission au parquet | La CTIF transmet le dossier au parquet et en informe le déclarant |
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Enquête judiciaire | Le parquet ou un juge d'instruction ouvre une enquête et contacte le déclarant |
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Lorsque la CTIF informe le déclarant qu'elle a transmis le dossier au parquet, un processus décisionnel rigoureux doit être mis en œuvre :
Dans la majorité des cas, la transmission au parquet constitue un signal fort qui devrait conduire à envisager sérieusement la rupture de la relation d'affaires, tout en respectant les précautions mentionnées à la section 5.
L'absence de notification de la CTIF ne signifie pas nécessairement un classement sans suite. La CTIF n'informe le déclarant que lorsqu'elle transmet le dossier au parquet. Un dossier peut rester en analyse pendant une période prolongée sans qu'aucune information ne soit communiquée au déclarant.
STRICTEMENT CONFIDENTIEL
Référence interne : [Code interne]
Date de la notification de la CTIF : [JJ/MM/AAAA]
Référence de la notification : [Référence]
Type de risque | Évaluation (Faible/Moyen/Élevé) | Commentaires |
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Risque juridique | [Niveau] | [Commentaire] |
Risque réputationnel | [Niveau] | [Commentaire] |
Risque professionnel | [Niveau] | [Commentaire] |
Risque opérationnel | [Niveau] | [Commentaire] |
Option | Avantages | Inconvénients |
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Poursuite de la relation avec vigilance renforcée | [Liste des avantages] | [Liste des inconvénients] |
Rupture de la relation | [Liste des avantages] | [Liste des inconvénients] |
[Détail de la décision prise et des raisons qui la justifient]
[Étapes concrètes pour mettre en œuvre la décision, avec calendrier]
Date de la décision : [JJ/MM/AAAA]
Approuvé par : [Noms et fonctions des décideurs]
Quelle que soit l'issue de la déclaration, il est essentiel d'effectuer une revue complète de votre dispositif anti-blanchiment pour identifier d'éventuelles améliorations. Chaque déclaration constitue une opportunité d'apprentissage pour renforcer vos processus internes et votre capacité à détecter précocement les situations à risque.
La gestion post-déclaration de soupçon constitue une phase critique dans le dispositif anti-blanchiment d'un cabinet comptable. Elle exige une approche méthodique, une documentation rigoureuse et un équilibre délicat entre les obligations légales, la protection du cabinet et la gestion de la relation client.
En suivant les recommandations et bonnes pratiques présentées dans ce guide, les professionnels comptables peuvent naviguer efficacement dans cette phase complexe et démontrer leur engagement dans la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.
N'oubliez pas que la collaboration avec la CTIF et les autorités compétentes est essentielle pour l'efficacité du dispositif anti-blanchiment belge. Votre rôle en tant que professionnel du chiffre est crucial dans la détection et la prévention des activités illicites qui menacent l'intégrité du système financier.