Guide des Obligations Post-Déclaration de Soupçon

Guide pratique pour les comptables belges sur les obligations et bonnes pratiques après une déclaration de soupçon à la CTIF

Introduction

La déclaration de soupçon à la Cellule de Traitement des Informations Financières (CTIF) marque une étape importante dans le processus de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Cependant, les obligations du comptable ne s'arrêtent pas à l'envoi de cette déclaration.

Ce guide détaille les obligations légales et les bonnes pratiques à suivre après avoir effectué une déclaration de soupçon, conformément à la loi du 18 septembre 2017 relative à la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme.

Cadre légal

Articles 47 à 59 de la loi du 18 septembre 2017 : obligations de déclaration, confidentialité et protection du déclarant

Article 35 : obligations de vigilance continue

Article 46 : traitement interne des opérations atypiques

1. Réévaluation du profil de risque du client

Suite à une déclaration de soupçon, il est impératif de réévaluer le profil de risque du client concerné. Cette réévaluation doit être documentée et justifiée, puis intégrée dans le dossier du client.

Processus de réévaluation

La réévaluation doit être effectuée immédiatement après la déclaration de soupçon et doit prendre en compte les éléments suivants :

  • La nature et la gravité des opérations ayant fait l'objet de la déclaration
  • L'historique complet de la relation d'affaires
  • Les explications fournies par le client (sans mentionner la déclaration)
  • L'impact potentiel sur d'autres clients ou opérations
  • Le secteur d'activité et les risques spécifiques associés

Niveaux de risque post-déclaration

Niveau de risque Description Actions requises
Élevé Client ayant fait l'objet d'une déclaration pour des opérations significatives ou récurrentes Vigilance renforcée permanente et révision de la relation d'affaires
Moyen-élevé Client ayant fait l'objet d'une déclaration pour une opération isolée Vigilance renforcée temporaire et réévaluation après 6 mois

Conseil pratique

Documentez toujours votre processus de réévaluation de manière claire et objective. Évitez les termes accusatoires et préférez une description factuelle des éléments ayant conduit à la modification du profil de risque.

Modèle de fiche de réévaluation

FICHE DE RÉÉVALUATION DU PROFIL DE RISQUE CLIENT

Identification du client : [Nom/Raison sociale]

Numéro de client : [Référence interne]

Date de la réévaluation : [JJ/MM/AAAA]

Profil de risque antérieur : [Faible/Standard/Élevé]

Profil de risque révisé : [Standard/Élevé]

Justification de la révision : [Description factuelle des éléments ayant conduit à la révision, sans mentionner la déclaration à la CTIF]

Mesures de vigilance à mettre en place : [Liste des mesures]

Date de la prochaine révision : [JJ/MM/AAAA]

Validé par : [Nom et fonction]

2. Mesures de vigilance accrue

Après une déclaration de soupçon, le client doit faire l'objet d'une vigilance accrue, conformément à l'article 35 de la loi du 18 septembre 2017. Cette vigilance accrue doit être adaptée au niveau de risque réévalué.

Mesures de vigilance accrue à mettre en place

  • Augmenter la fréquence de mise à jour des informations d'identification et de vérification
  • Examiner en détail toutes les opérations du client, même celles de faible montant
  • Recueillir des informations et des justificatifs supplémentaires pour chaque nouvelle opération
  • Imposer la validation par un niveau hiérarchique supérieur pour toute nouvelle mission
  • Mettre en place une surveillance spécifique des flux financiers
  • Réduire les seuils d'alerte pour les opérations atypiques concernant ce client
  • Effectuer des vérifications supplémentaires sur les partenaires commerciaux du client

Fréquence des contrôles selon le niveau de risque

Type de contrôle Risque standard Risque élevé (post-déclaration)
Mise à jour des informations d'identification Tous les 2-3 ans Au moins annuellement
Vérification de la cohérence des opérations Trimestrielle Mensuelle ou à chaque opération
Vérification approfondie des transactions Pour les montants significatifs Pour toutes les transactions
Revue complète du dossier Annuelle Semestrielle

Attention

Les mesures de vigilance accrue doivent être appliquées de manière discrète, sans que le client puisse déduire qu'il a fait l'objet d'une déclaration de soupçon à la CTIF.

Exemple de plan de vigilance accrue

Client : Société ABC (déclaration effectuée suite à des opérations atypiques)

Mesures immédiates :

  • Vérification exhaustive du registre UBO et des liens avec d'autres entités
  • Analyse détaillée des états financiers des 3 dernières années
  • Examen approfondi de la cohérence entre le chiffre d'affaires et l'activité déclarée

Mesures continues :

  • Examen mensuel de tous les mouvements financiers
  • Documentation détaillée de chaque opération avec justificatifs
  • Revue trimestrielle par l'AMLCO

Prochaine révision complète : Dans 6 mois

3. Communication avec la CTIF après la déclaration

Après l'envoi d'une déclaration de soupçon, le comptable doit rester disponible pour fournir des informations complémentaires à la CTIF et répondre à ses demandes. Cette communication s'inscrit dans le cadre de l'article 48 de la loi du 18 septembre 2017.

Types de communications possibles avec la CTIF

Type de communication Description Délai de réponse
Accusé de réception Confirmation par la CTIF de la réception de la déclaration Automatique
Demande d'informations complémentaires Requête de la CTIF pour obtenir des précisions sur les faits déclarés À traiter en priorité (généralement sous 5 jours ouvrables)
Information complémentaire spontanée Transmission d'éléments nouveaux liés à une déclaration déjà effectuée Dès que l'information est disponible
Opposition à l'exécution d'une opération Instruction de la CTIF de ne pas exécuter une opération Application immédiate
Information de transmission au parquet Notification que le dossier a été transmis au procureur du Roi Information à conserver, pas de réponse requise

Bonnes pratiques pour répondre aux demandes de la CTIF

  • Désigner une personne responsable (généralement l'AMLCO) pour toutes les communications avec la CTIF
  • Traiter les demandes de la CTIF de manière prioritaire
  • Fournir des réponses précises, factuelles et complètes
  • Joindre les documents pertinents en format électronique
  • Conserver une trace de toutes les communications échangées avec la CTIF
  • Utiliser le canal sécurisé de communication mis à disposition par la CTIF
  • En cas de doute sur l'interprétation d'une demande, contacter la CTIF pour obtenir des précisions

Comment communiquer avec la CTIF

La communication avec la CTIF doit s'effectuer via son système sécurisé en ligne. Pour accéder à ce système :

  • Connectez-vous au site https://www.ctif-cfi.be
  • Utilisez les identifiants sécurisés fournis lors de votre inscription
  • Pour les communications urgentes, un contact téléphonique préalable peut être établi au numéro indiqué dans votre espace sécurisé

Modèle de suivi des communications avec la CTIF

REGISTRE DES COMMUNICATIONS AVEC LA CTIF

Référence de la déclaration initiale : [Numéro]

Date de la déclaration initiale : [JJ/MM/AAAA]

Client concerné : [Référence interne - pas de nom]

Date Type de communication Contenu sommaire Suivi effectué
[JJ/MM/AAAA] Accusé de réception Confirmation de la réception de la déclaration n°XXX Archivé
[JJ/MM/AAAA] Demande d'informations Demande de précisions sur les transactions du [date] Réponse envoyée le [date]

Points de vigilance

  • Ne jamais mentionner auprès du client l'existence d'une communication avec la CTIF
  • Préserver la confidentialité de toutes les communications avec la CTIF, y compris en interne
  • En cas de demande d'informations sur un client non déclaré précédemment, cette demande équivaut à une obligation de déclaration

4. Gestion de la relation client sans révéler l'existence de la déclaration

L'un des défis majeurs après une déclaration de soupçon est de poursuivre la relation d'affaires avec le client sans lui révéler l'existence de cette déclaration, conformément à l'interdiction de divulgation (tipping-off) prévue à l'article 55 de la loi du 18 septembre 2017.

Interdiction de divulgation (Tipping-off)

L'article 55 de la loi du 18 septembre 2017 interdit formellement aux déclarants d'informer le client ou des tiers qu'une déclaration de soupçon a été effectuée ou qu'une analyse pour blanchiment de capitaux ou financement du terrorisme est en cours. Cette infraction est passible de sanctions pénales.

Stratégies pour gérer la relation client

À éviter

  • Changer brutalement d'attitude envers le client
  • Refuser soudainement des opérations sans justification objective
  • Poser des questions insistantes sur des opérations anciennes
  • Mentionner des termes comme "blanchiment", "CTIF" ou "déclaration de soupçon"
  • Laisser entendre que ses opérations font l'objet d'une attention particulière

Bonnes pratiques

  • Maintenir une attitude professionnelle et objective
  • Justifier les demandes d'informations supplémentaires par des obligations légales générales
  • Invoquer des procédures internes de contrôle qualité
  • Faire référence à des obligations de conformité applicables à tous les clients
  • Standardiser les demandes de justificatifs pour tous les clients de même catégorie

Formulations recommandées pour les demandes d'informations

Situation Formulation à éviter Formulation recommandée
Demande de justificatifs pour une transaction "Cette transaction nous paraît suspecte, nous avons besoin de justificatifs" "Dans le cadre de nos procédures de vérification standard, nous avons besoin des pièces justificatives relatives à cette opération"
Questions sur l'origine des fonds "Ces fonds proviennent-ils d'activités légales?" "Conformément à nos obligations légales de vigilance, pourriez-vous nous préciser l'origine économique de ces fonds?"
Explication d'une demande de vigilance accrue "Suite à des opérations inhabituelles, nous devons renforcer notre surveillance" "Dans le cadre de notre mise à jour périodique des dossiers clients, nous procédons à une actualisation de vos informations"

Gestion des questions du client

Le client pourrait s'interroger sur les demandes d'informations supplémentaires ou sur un changement dans la relation d'affaires. Voici comment gérer ces situations :

Si le client demande pourquoi vous avez besoin de plus d'informations :

  • Expliquer les obligations légales générales des comptables en matière de vigilance
  • Mentionner que ces procédures s'appliquent à tous les clients
  • Faire référence à des circulaires professionnelles ou recommandations de l'ITAA
  • Évoquer des mises à jour périodiques des dossiers clients

Si le client soupçonne une déclaration à la CTIF :

  • Rester professionnel et ne pas confirmer ni infirmer
  • Rappeler le caractère confidentiel des relations avec les clients
  • Rediriger la conversation vers les aspects professionnels de la mission
  • Si nécessaire, consulter l'AMLCO ou un conseiller juridique avant de poursuivre la discussion

Conseil pratique

Pour éviter d'éveiller les soupçons du client, envisagez d'appliquer certaines mesures de vigilance accrue à l'ensemble de votre clientèle dans le cadre d'une mise à niveau générale de vos procédures. Cela permettra de "noyer" les demandes spécifiques adressées au client ayant fait l'objet d'une déclaration.

5. Situations pouvant mener à la rupture de la relation d'affaires

Bien que la déclaration de soupçon n'implique pas automatiquement la rupture de la relation d'affaires, certaines situations peuvent nécessiter la fin de la collaboration avec le client. Cette décision doit être prise avec prudence pour ne pas alerter le client sur l'existence d'une déclaration.

Critères justifiant une rupture de la relation d'affaires

Situation Description Niveau de risque
Impossibilité d'exercer une vigilance adéquate Le client refuse de fournir les informations ou documents nécessaires à l'exercice de la vigilance Élevé - Rupture obligatoire (art. 33 de la loi)
Risque réputation inacceptable Le maintien de la relation expose le cabinet à un risque réputationnel majeur Élevé - Rupture recommandée
Soupçons de participation directe à une activité criminelle Indices sérieux que le client participe directement à des activités illégales Élevé - Rupture recommandée
Opérations systématiquement atypiques Le client continue à réaliser des opérations atypiques malgré les demandes d'explications Moyen - Évaluer au cas par cas
Communication d'informations fausses ou trompeuses Le client fournit sciemment des informations inexactes Moyen - Évaluer au cas par cas

Point d'attention important

Si la CTIF vous notifie qu'elle a transmis le dossier au procureur du Roi, une évaluation approfondie de la poursuite de la relation d'affaires doit être réalisée. Dans de nombreux cas, la rupture pourrait être recommandée, mais doit toujours s'effectuer sans révéler le motif réel.

Processus de rupture de la relation d'affaires

Si la décision de mettre fin à la relation est prise, voici les étapes à suivre :

  1. Validation interne : Faire valider la décision par l'AMLCO et la direction
  2. Documentation : Documenter les raisons objectives de la rupture (sans mentionner la déclaration à la CTIF)
  3. Préparation du motif officiel : Choisir un motif crédible et non lié à la déclaration (réorganisation interne, spécialisation du cabinet, etc.)
  4. Communication au client : Informer le client par écrit de la fin de la mission
  5. Respect des délais : Respecter les délais de préavis contractuels ou déontologiques
  6. Transfert du dossier : Organiser la transmission du dossier au nouveau comptable désigné par le client
  7. Information à la CTIF : Informer la CTIF de la fin de la relation d'affaires si une déclaration a été effectuée

Motifs de rupture acceptables à communiquer au client

  • Réorientation stratégique du cabinet vers d'autres secteurs d'activité
  • Manque de ressources ou de compétences spécifiques pour continuer à servir le client de manière optimale
  • Restructuration interne du cabinet nécessitant une révision du portefeuille clients
  • Incompatibilité de calendrier ou contraintes organisationnelles
  • Désaccord persistant sur la méthode de travail ou les délais
  • Non-respect par le client de ses obligations contractuelles (retards de paiement, non-fourniture des documents dans les délais, etc.)

Modèle de lettre de fin de mission

LETTRE DE FIN DE MISSION

[Lieu et date]

[Coordonnées du client]

Objet : Fin de notre collaboration professionnelle

Madame, Monsieur,

Par la présente, nous vous informons de notre décision de mettre fin à notre collaboration professionnelle à compter du [date d'effet, respectant le préavis contractuel].

Cette décision s'inscrit dans le cadre d'une [motif crédible, par exemple : "réorganisation interne de notre cabinet et d'une redéfinition de nos domaines de spécialisation"]. Malgré la qualité de nos échanges professionnels passés, nous ne sommes plus en mesure de vous offrir le niveau de service que vous êtes en droit d'attendre.

Conformément à nos obligations professionnelles, nous restons à votre disposition pour assurer une transition harmonieuse de votre dossier vers le professionnel de votre choix. Nous vous remercions de bien vouloir nous communiquer les coordonnées de ce dernier afin que nous puissions organiser cette transition.

Nous vous prions d'agréer, Madame, Monsieur, l'expression de nos salutations distinguées.

[Signature]
[Nom et fonction]

Conseil pratique

Pour éviter toute suspicion, il peut être judicieux de mettre fin simultanément à plusieurs relations d'affaires dans le cadre d'une "réorganisation" plus large, incluant des clients n'ayant pas fait l'objet d'une déclaration.

6. Conservation des documents et preuves liés à la déclaration

La conservation adéquate des documents et preuves liés à une déclaration de soupçon est une obligation légale importante, conformément aux articles 60 à 63 de la loi du 18 septembre 2017. Elle permet de justifier les décisions prises et de répondre aux demandes ultérieures des autorités.

Documents à conserver

Documents liés à la déclaration

  • Copie de la déclaration de soupçon transmise à la CTIF
  • Accusé de réception de la CTIF
  • Correspondances échangées avec la CTIF
  • Rapport d'analyse des opérations atypiques
  • Documents justifiant la décision de déclarer
  • Notes internes relatives à l'analyse

Documents relatifs au client

  • Documents d'identification du client et des bénéficiaires effectifs
  • Évaluations successives du profil de risque
  • Pièces justificatives des opérations suspectes
  • Correspondance professionnelle avec le client
  • Comptes rendus des entretiens pertinents
  • Documents comptables liés aux opérations suspectes

Durée de conservation

Conformément à l'article 60 de la loi du 18 septembre 2017, les documents relatifs à une déclaration de soupçon doivent être conservés pendant 10 ans à partir de la fin de la relation d'affaires avec le client concerné ou de la date de l'opération occasionnelle.

Modalités de conservation

Aspect Bonnes pratiques
Format
  • Conservation sur support papier et/ou électronique
  • Si électronique, garantir l'intégrité, la lisibilité et l'accessibilité des documents
Sécurité
  • Accès restreint aux seules personnes autorisées
  • Système de traçabilité des accès
  • Chiffrement des données sensibles
Organisation
  • Classement chronologique et thématique
  • Index ou système de référencement
  • Séparation entre les documents courants et les documents liés à la déclaration
Confidentialité
  • Dissociation des documents relatifs à la déclaration du dossier client standard
  • Codification ou anonymisation dans les systèmes de classement
  • Mention "Confidentiel - AMLCO" sur les dossiers sensibles

Système de classement recommandé

Un système de classement efficace doit permettre de retrouver rapidement les documents pertinents tout en préservant leur confidentialité :

1. Structure de dossiers suggérée :

  • Dossier principal : Référence interne ne mentionnant pas "CTIF" ou "déclaration"
  • Sous-dossier 1 : Déclaration et communications avec la CTIF (accès AMLCO uniquement)
  • Sous-dossier 2 : Analyses et rapports internes (accès restreint)
  • Sous-dossier 3 : Documents justificatifs et pièces à conviction
  • Sous-dossier 4 : Évaluations des risques et mesures de vigilance

2. Indexation des documents :

Établir un index détaillé permettant de retrouver facilement chaque document avec :

  • Numéro de référence unique
  • Date du document
  • Type de document
  • Description sommaire du contenu
  • Emplacement physique ou électronique

Précautions essentielles

  • Ne jamais conserver la documentation relative à la déclaration dans le dossier standard accessible à tous les collaborateurs
  • Prévoir une procédure d'accès d'urgence en cas d'absence de l'AMLCO
  • Mettre en place un système de destruction sécurisée des documents à l'expiration du délai de conservation
  • En cas de contrôle par les autorités, ne fournir les documents liés aux déclarations que sur demande explicite

7. Suivi interne et reporting à l'AMLCO

Après une déclaration de soupçon, un système de suivi interne doit être mis en place pour assurer la surveillance continue du client concerné et documenter les évolutions de la situation. Ce suivi est coordonné par l'AMLCO (Anti-Money Laundering Compliance Officer).

Responsabilités de l'AMLCO post-déclaration

  • Assurer le suivi des communications avec la CTIF
  • Superviser la mise en œuvre des mesures de vigilance accrue
  • Coordonner la réévaluation périodique du profil de risque
  • Centraliser et analyser les informations relatives aux nouvelles opérations du client
  • Décider de l'opportunité d'effectuer des déclarations complémentaires
  • Veiller au respect strict de la confidentialité de la déclaration
  • Conseiller la direction sur la poursuite ou la rupture de la relation d'affaires

Processus de reporting interne

Pour les collaborateurs travaillant avec le client

  • Informer immédiatement l'AMLCO de toute nouvelle opération atypique
  • Documenter de manière factuelle toute interaction significative avec le client
  • Transmettre à l'AMLCO tout document ou information pouvant avoir une importance
  • Ne pas discuter du cas avec d'autres collaborateurs non concernés
  • Suivre strictement les instructions de l'AMLCO concernant les mesures de vigilance

Pour l'AMLCO

  • Maintenir un registre confidentiel des déclarations effectuées
  • Organiser des points de suivi réguliers avec les personnes concernées
  • Produire des rapports de suivi post-déclaration
  • Informer de manière appropriée la direction du cabinet
  • Coordonner les actions en cas de demande de la CTIF
  • Documenter toutes les décisions prises

Fréquence de reporting recommandée

Niveau de risque Reporting des collaborateurs à l'AMLCO Révision par l'AMLCO Reporting à la direction
Élevé Immédiat pour chaque opération + rapport mensuel Mensuelle Trimestrielle ou immédiate si évolution significative
Moyen-élevé Immédiat pour opérations significatives + rapport trimestriel Trimestrielle Semestrielle ou selon nécessité

Modèle de rapport de suivi post-déclaration

RAPPORT DE SUIVI POST-DÉCLARATION

CONFIDENTIEL - USAGE INTERNE UNIQUEMENT

Référence interne : [Code interne]

Date de la déclaration initiale : [JJ/MM/AAAA]

Période couverte par ce rapport : Du [JJ/MM/AAAA] au [JJ/MM/AAAA]

Préparé par : [Nom et fonction]

1. Évolution de la situation
  • Résumé des nouvelles opérations réalisées par le client
  • Interactions significatives avec le client pendant la période
  • Communications avec la CTIF (le cas échéant)
2. Mesures de vigilance appliquées
  • Actions spécifiques mises en œuvre
  • Vérifications effectuées
  • Documents supplémentaires obtenus
3. Évaluation des risques actualisée
  • Changements dans le profil de risque
  • Nouveaux facteurs de risque identifiés
  • Facteurs d'atténuation des risques
4. Conclusions et recommandations
  • Évaluation globale de la situation actuelle
  • Nécessité d'une déclaration complémentaire à la CTIF (oui/non)
  • Recommandations sur la poursuite de la relation d'affaires
  • Mesures supplémentaires à mettre en œuvre

Date : [JJ/MM/AAAA]

Signature de l'AMLCO : ___________________

Conseil pratique

Pour les cabinets de petite taille, envisagez de créer un calendrier de suivi des clients ayant fait l'objet d'une déclaration, avec des rappels automatiques pour les révisions périodiques. Des solutions logicielles spécialisées en compliance peuvent faciliter ce suivi.

8. Mesures en cas de demande d'opposition à une transaction

Dans certains cas, la CTIF peut demander au déclarant de ne pas exécuter une transaction pendant un délai déterminé. Cette mesure, prévue par l'article 80 de la loi du 18 septembre 2017, est exceptionnelle et nécessite une réaction immédiate et appropriée.

Cadre légal de l'opposition

L'article 80 de la loi du 18 septembre 2017 permet à la CTIF de s'opposer à l'exécution d'une opération pour une durée maximale de 5 jours ouvrables à compter de la notification. Cette opposition peut être prolongée par le procureur du Roi ou le juge d'instruction.

Cette mesure vise à permettre aux autorités d'analyser l'opération et, le cas échéant, de prendre des mesures conservatoires (saisie, gel des avoirs) avant que les fonds ne soient déplacés.

Procédure de réception et traitement d'une opposition

  1. Réception de l'opposition : L'opposition est généralement notifiée par la CTIF via le système sécurisé de communication ou par téléphone suivi d'une confirmation écrite.
  2. Vérification de l'authenticité : En cas de doute, contacter la CTIF au numéro officiel pour confirmer l'authenticité de la demande.
  3. Information immédiate : Avertir sans délai l'AMLCO et la direction du cabinet.
  4. Mise en œuvre de l'opposition : Prendre immédiatement les mesures nécessaires pour que l'opération concernée ne soit pas exécutée.
  5. Documentation : Documenter précisément les actions entreprises et les communications avec la CTIF.
  6. Confidentialité : Respecter strictement l'interdiction d'informer le client de l'existence de cette opposition.
  7. Suivi : Attendre les instructions ultérieures de la CTIF ou des autorités judiciaires.

Points d'attention critiques

  • Le non-respect d'une opposition de la CTIF est passible de sanctions pénales
  • L'opposition doit être traitée avec la plus grande priorité dès sa réception
  • La confidentialité absolue est essentielle - toute fuite d'information pourrait compromettre une enquête en cours

Gestion de la relation client pendant l'opposition

À éviter absolument

  • Mentionner l'existence de l'opposition
  • Faire référence à la CTIF ou aux autorités judiciaires
  • Suggérer qu'il existe une enquête en cours
  • Proposer des solutions alternatives pour contourner l'opposition
  • Donner un accès à des fonds ou actifs concernés par l'opposition

Réponses appropriées au client

  • "Cette opération nécessite des vérifications supplémentaires conformément à nos procédures internes"
  • "Nous rencontrons actuellement un problème technique/administratif qui retarde l'exécution"
  • "Nous devons effectuer des contrôles de conformité qui peuvent prendre quelques jours"
  • "Certaines informations complémentaires sont nécessaires avant de pouvoir procéder"

Actions à entreprendre selon l'issue de l'opposition

Scénario Actions à entreprendre
Expiration du délai d'opposition sans prolongation
  • Contacter la CTIF pour confirmer l'expiration
  • Documenter la fin de l'opposition
  • Réévaluer l'opportunité d'exécuter l'opération
  • Maintenir une vigilance accrue
Prolongation de l'opposition par le procureur
  • Documenter la prolongation reçue
  • Continuer à appliquer l'opposition
  • Préparer une stratégie de communication avec le client en cas de demandes insistantes
Transformation en saisie judiciaire
  • Se conformer strictement aux instructions des autorités judiciaires
  • Conserver tous les documents relatifs à la saisie
  • Consulter un avocat spécialisé en droit pénal
  • Considérer sérieusement la fin de la relation d'affaires

Conseil pratique

Il est recommandé d'élaborer à l'avance une procédure interne détaillée pour la gestion des oppositions, incluant une chaîne de communication d'urgence et des modèles de réponses à donner au client. Cela permettra une réaction rapide et appropriée en cas de réception d'une opposition de la CTIF.

9. Obligations selon l'issue de la déclaration

Après avoir effectué une déclaration de soupçon, plusieurs scénarios peuvent se présenter, chacun impliquant des obligations spécifiques pour le professionnel du chiffre. L'issue de la déclaration peut avoir un impact significatif sur la relation d'affaires et les mesures à mettre en œuvre.

Issues possibles d'une déclaration et implications

Issue Description Obligations et recommandations
Classement sans suite par la CTIF La CTIF ne transmet pas le dossier au parquet après analyse (aucune notification n'est généralement envoyée au déclarant)
  • Maintenir une vigilance standard ou accrue selon le profil
  • Documenter les mesures prises après la déclaration
  • Réévaluer périodiquement le profil de risque
Transmission au parquet La CTIF transmet le dossier au parquet et en informe le déclarant
  • Appliquer des mesures de vigilance renforcée
  • Réévaluer en profondeur la relation d'affaires
  • Envisager sérieusement la fin de la relation
  • Conserver soigneusement la notification de la CTIF
Enquête judiciaire Le parquet ou un juge d'instruction ouvre une enquête et contacte le déclarant
  • Coopérer pleinement avec les autorités judiciaires
  • Documenter toutes les communications
  • Considérer la rupture de la relation d'affaires
  • Consulter un avocat spécialisé si nécessaire

Différences entre classement sans suite et transmission au parquet

Classement sans suite

  • Pas de notification formelle au déclarant
  • Possibilité de maintenir la relation d'affaires
  • Vigilance standard ou accrue selon le profil
  • Ré-déclaration nécessaire si nouveaux éléments suspects
  • Conservation des documents pendant 10 ans

Transmission au parquet

  • Notification formelle au déclarant
  • Indice d'indices sérieux de BC/FT
  • Réévaluation obligatoire de la relation d'affaires
  • Vigilance renforcée obligatoire
  • Risque accru pour la réputation du cabinet

Processus décisionnel après transmission au parquet

Lorsque la CTIF informe le déclarant qu'elle a transmis le dossier au parquet, un processus décisionnel rigoureux doit être mis en œuvre :

  1. Réunion d'urgence : Organiser une réunion entre l'AMLCO et la direction du cabinet
  2. Analyse approfondie : Réexaminer l'ensemble du dossier et des opérations du client
  3. Évaluation des risques : Mesurer les risques juridiques, réputationnels et opérationnels de la poursuite de la relation
  4. Consultation juridique : Si nécessaire, consulter un avocat spécialisé
  5. Décision documentée : Prendre une décision formelle (poursuite ou rupture) et la documenter
  6. Mise en œuvre : Appliquer la décision en respectant les obligations légales et déontologiques

Dans la majorité des cas, la transmission au parquet constitue un signal fort qui devrait conduire à envisager sérieusement la rupture de la relation d'affaires, tout en respectant les précautions mentionnées à la section 5.

Attention

L'absence de notification de la CTIF ne signifie pas nécessairement un classement sans suite. La CTIF n'informe le déclarant que lorsqu'elle transmet le dossier au parquet. Un dossier peut rester en analyse pendant une période prolongée sans qu'aucune information ne soit communiquée au déclarant.

Modèle de fiche d'évaluation post-transmission au parquet

ÉVALUATION POST-TRANSMISSION AU PARQUET

STRICTEMENT CONFIDENTIEL

Référence interne : [Code interne]

Date de la notification de la CTIF : [JJ/MM/AAAA]

Référence de la notification : [Référence]

1. Évaluation des risques
Type de risque Évaluation (Faible/Moyen/Élevé) Commentaires
Risque juridique [Niveau] [Commentaire]
Risque réputationnel [Niveau] [Commentaire]
Risque professionnel [Niveau] [Commentaire]
Risque opérationnel [Niveau] [Commentaire]
2. Options évaluées
Option Avantages Inconvénients
Poursuite de la relation avec vigilance renforcée [Liste des avantages] [Liste des inconvénients]
Rupture de la relation [Liste des avantages] [Liste des inconvénients]
3. Décision et justification

[Détail de la décision prise et des raisons qui la justifient]

4. Plan d'action

[Étapes concrètes pour mettre en œuvre la décision, avec calendrier]

Date de la décision : [JJ/MM/AAAA]

Approuvé par : [Noms et fonctions des décideurs]

Recommandation

Quelle que soit l'issue de la déclaration, il est essentiel d'effectuer une revue complète de votre dispositif anti-blanchiment pour identifier d'éventuelles améliorations. Chaque déclaration constitue une opportunité d'apprentissage pour renforcer vos processus internes et votre capacité à détecter précocement les situations à risque.

Conclusion

La gestion post-déclaration de soupçon constitue une phase critique dans le dispositif anti-blanchiment d'un cabinet comptable. Elle exige une approche méthodique, une documentation rigoureuse et un équilibre délicat entre les obligations légales, la protection du cabinet et la gestion de la relation client.

En suivant les recommandations et bonnes pratiques présentées dans ce guide, les professionnels comptables peuvent naviguer efficacement dans cette phase complexe et démontrer leur engagement dans la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.

N'oubliez pas que la collaboration avec la CTIF et les autorités compétentes est essentielle pour l'efficacité du dispositif anti-blanchiment belge. Votre rôle en tant que professionnel du chiffre est crucial dans la détection et la prévention des activités illicites qui menacent l'intégrité du système financier.

Références et ressources utiles

Textes légaux et réglementaires

  • Loi du 18 septembre 2017 relative à la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme
  • Norme de l'Institut des Experts-comptables et des Conseils fiscaux du 31 mars 2020
  • Lignes directrices de la CTIF à l'attention des entités assujetties

Sites internet utiles

  • CTIF (Cellule de Traitement des Informations Financières) : www.ctif-cfi.be
  • ITAA (Institut des Conseillers Fiscaux et des Experts-comptables) : www.itaa.be
  • SPF Économie - Lutte contre le blanchiment : economie.fgov.be

Contacts importants

  • CTIF : Pour toute question relative aux déclarations de soupçon
  • ITAA : Pour toute question déontologique relative à la gestion post-déclaration
  • Procureur du Roi : En cas de demande judiciaire suite à une transmission par la CTIF